[18+] Fragile petite vie.

Papa et Tyler m’attendent. Les ventes ont été bonnes dernièrement. Nos chiffres sont bons et nous avons donc décidé de célébrer comme à notre habitude, dans notre restaurant préféré de Little Italy. Ainsi, me voilà prête, dans ma robe rouge, parfaitement coiffée et maquillée. Un dernier regard dans la glace et je souris. Ils sont rares les moments où je me trouve jolie, juste un peu. Kevin entre dans la chambre et je me retourne pour le regarder. Il n’a pas l’air enthousiaste à l’idée que je sorte. Il ne l’est jamais. « Alors, comment tu me trouves ? » Kevin me dévisage, hausse les épaules. Je le sens tendu, alors mon sourire disparaît. Je ne vais pas insister, ça vaut mieux. Mais mon estime baisse d’un coup. Peut-être devrais-je changer de robe ? La blanche serait peut-être plus appropriée ? C’est vrai que rouge, ça fait un peu vulgaire, n’est-ce pas ? Kevin me dit qu’il a l’impression que je vais faire les rues ce soir. Blessée, je force un sourire. « Tu as raison, je devrais mettre la blanche à la place. » La blanche, c’est mon père qui me l’a offerte, alors ce sera parfait. Il me dit que je pourrais rester à la place. Je sais alors que je suis foutue. « Je ne peux pas pas faire faut bond à ma famille. Et puis, c’est notre tradition, et… » Il m’interrompt en haussant le ton et je sursaute. Il fait tomber des objets de ma commode et je baisse les yeux, essayant de résister pour ne pas pleurer. Je sais que lorsque je pleure, ça le met hors de lui. Il râle et je ne dis rien, le laissant me pousser hors de son chemin pour sortir de la chambre. Pendant quelques secondes, je reste immobile, debout dans la chambre.

Devrais-je annuler ? Non. Je ne peux pas annuler comme ça, alors que papa et Tyler sont probablement déjà installés à une table au restaurant. Ce serait mal que je leur pose un lapin. Je change donc de robe, met la blanche, et sort de la chambre. Kevin est au salon, installé avec une bière. Il s’attendait à ce que je change d’avis après sa crise. Il me demande où je vais et je lui réponds que je vais au restaurant.

C’était la mauvaise réponse.

Il se lève alors du canapé et je commence à trembler en le voyant approcher. Je fige de terreur sur place. Je sais très bien ce qui m’attends, et ce n’est pas du tout un bon dîner au restaurant en compagnie de papa et Ty. Mon fiancé est furieux que je décide de sortir. En premier, c’est la télécommande de la télévision qu’il me lance. Ensuite, il lance sa canette de bière que j’ai à peine le temps de bloquer avec mes bras avant de la recevoir en pleine figure. Maintenant, je pleure. « Arrête, je t’en supplie, ne te mets pas en colère. » Je lui demande pardon, mais c’est trop tard. J’ai dépassé les bornes. Je pleure, et il déteste quand je pleure. Je recule alors qu’il avance. Mon dos heurte le mur et il me coince là avec son corps. Sa main attrape mes cheveux et je gémis de douleur. « D-Désolée… » Rien à faire. C’est trop tard. Bien trop tard. Ce soir, je ne sors pas.

Il hurle sur moi des mots que je n’arrive même plus à comprendre tellement j’ai peur. Je n’arrive à penser qu’au traitement que je vais subir. Il me crie des insultes et me pousse un peu plus loin. J’ignore comment je réussis à rester debout sur mes jambes tremblantes et mes talons hauts. À peine aie-je le temps de me retourner que je me prends une gifle si violente que je tombe par terre. Mon maquillage coule sur mes joues. Je suis laide, et ça le répugne tellement qu’il décide de m’arranger le portrait. Étendue par terre, je reçois des coups de pieds, puis il s’installe par-dessus mon corps, à genoux, et me donne de bons coups de poings. Je n’ai pas l’occasion de les compter, comme je cesse de bouger après le troisième. Psychologiquement, je suis partie. Mes yeux sont fermés. Je me suis réfugié quelque part où je suis en sécurité. Déjà dévisagée, Kevin continue de me frapper, pleurant de rage, puis il s’arrête. Je ne bouge plus. Je ne pleure plus. Il pense que je ne respire plus non plus. Il essaie de trouver mon pouls, il ne le trouve pas. Il panique. Il est persuadé qu’il vient d’enfin m’achever. J’ai l’air morte et il n’arrive pas à me réveiller. Le sang coule par terre, et ma robe blanche devient rouge à certains endroits. Sans attendre, il va faire un sac de vêtements et quitte l’appartement en vitesse, me laissant là à mourir.

J’en ai envie. J’ai envie de partir et enfin avoir la paix. Ne plus souffrir physiquement et psychologiquement. J’ai envie d’arrêter de me reprocher tous les maux de la terre, et surtout ceux de Kevin. J’ai envie de partir de ce monde qui ne m’a pas fait de cadeau, mais alors que je pense à papa et Tyler, je reprends mes esprits, m’étouffant avec mon sang dans ma bouche. Je tourne la tête et crache le liquide rouge. Mon corps est douloureux, mais en même temps très engourdi. J’ai tellement mal que je ne ressens même plus la douleur. Je dois appeler à l’aide. Je dois appeler papa. Je dois lui dire que je ne viendrai pas. Sans être capable de me lever, je me traîne en rampant sur quelques mètres, perdant mes chaussures en chemin. Sur la table basse, j’arrive à attraper mon téléphone et appelle le numéro de mon père grâce à la composition rapide. Sur haut-parleur, j’entends mon père me demander où je suis. « Papa… Aide-moi… » Étendue par terre sur le côté, de nouvelles larmes coulent sur mon visage. Ma voix est faible. J’ai l’impression d’avoir hurlé pour devoir me faire entendre, mais il n’en est rien. Il comprend que quelque chose cloche. Je n’arrive pas à bouger, je ferme les yeux doucement, le suppliant dans ma tête de venir m’aider, espérant que ce n’est pas ça, notre ultime adieu. Quand il me trouve, je suis toujours là, inconsciente, avec mon téléphone par terre, près de ma tête.