Aujourd’hui, ma journée est assez banale. Le cours n’est pas vraiment chiant. C’est de l’histoire en même temps, j’en mangerais à tous les repas. Du coup, la pause entre mes deux cours d’aujourd’hui va être longue, j’en ai pour quelques heures, donc j’avais apporté mon ordinateur portable pour potasser mes études un peu à la bibliothèque non loin d’ici. Mais à peine je sors du campus que je reçois un sms de Jeremy qui me dit qu’il a besoin de me voir, ayant une importante nouvelle à m’annoncer. J’ai un peu peur, j’avoue, mais quand on vit sans cesse à attendre que le ciel nous tombe sur la tête une énième fois, on ne peut pas faire autrement que de se méfier. Mais dans tous les cas, je suis prête. De toute façon, la perspective de voir Jeremy, que ce soit positif ou négatif, est toujours meilleure que de faire des travaux scolaires.

Il faut dire aussi que mes sentiments à son égard évoluent d’une façon terrifiante que je refoule comme j’ai toujours eu l’habitude de faire avec les émotions qui me terrifiaient. Jeremy est mon meilleur ami, rien d’autre. C’est mon roc, ma moitié. Il n’y a rien de plus que ça… non ? Puis après, c’est peut-être à force de me faire dire que nous avons l’air d’un couple que j’ai commencé à y voir quelque chose. Non. Il n’y a rien de plus qu’une profonde amitié. Une amitié dont on ne peut pas se passer au risque d’être détruits, littéralement, si ça arrive. Parce que le souvenir de notre dernière dispute plane toujours au-dessus de ma tête. Jeremy a peut-être passé l’éponge sur le fait que j’ai failli tout gâcher, mais pas moi. Je m’en veux toujours et ça m’a bien servi de leçon. Comme promis, je n’ai pas cessé l’alcool complètement, mais j’ai grandement diminué. Je ne sors plus dans les bars déjà, sauf pour aller voir Jeremy et dans ce cas, même si la tentation est grande, je ne commande plus que des boissons sans alcool. C’est quand les journées sont plus difficiles que je me laisse aller un peu, pour me donner un boost.

Bref, rendez-vous au café et même si j’appréhende un peu, je suis enjouée à l’idée de le voir. Je réponds à Jeremy que je m’y rends de suite. C’est juste au centre commercial à côté alors j’arrive là-bas assez rapidement et je m’installe à une chaise, posant mon sac devant mes jambes sous la table, bien en sécurité. Que j’en vois un y toucher. Alors que j’attends, je reçois une réponse de Jeremy qui arrive dans cinq minutes. Je commande donc nos breuvages habituels, question qu’il n'ait pas à se prendre la tête en arrivant. Je scrolle les réseaux sociaux en attendant qu’il arrive. Quand une dame se fait bousculer, je lève la tête et retient un rire en voyant Jeremy. Il a l’air heureux, alors je me détends un peu concernant cette fameuse nouvelle. Ce doit en être une bonne. Peut-être une offre géniale qui boostera sa carrière. Je me lève donc, voyant qu’il me cherche et bien que son câlin ne soit pas vraiment une surprise, j’ai l’habitude, celui-ci semble différent. Comme s’il me diffusait son bonheur à travers ce câlin. Mes bras l’enlacent aussi, ma main se posant sur sa nuque. Son entrain est contagieux. « C’est rare que tu es aussi heureux de me voir, tiens. » Évidemment, je rigole. Je sais qu’il est toujours heureux de me voir. Mais aujourd’hui, c’est d’un niveau légèrement supérieur.

Cette dernière dispute avec Jeremy m’a bien servi de leçon et si je dois réduire ma consommation d’alcool pour éviter que ça se reproduise, je le ferai. Ainsi aujourd’hui, je suis complètement sobre, ce qui n’arrivait plus très souvent avant. C’est une des raisons pour lesquelles j’appréhende un peu cette nouvelle que Jeremy compte m’annoncer. Depuis notre dispute, les choses sont calmes, même si l’alcool me manque toujours, mais au moins le ciel semble rester en haut, et non me tomber sur la tête, pour une fois. Mais aujourd’hui, je suis nerveuse par rapport à cette nouvelle. Sera-t-elle bonne ? Quand je le vois entrer je me détends déjà avant même de voir son sourire. Qu’importe ce qu’il m’apporte comme nouvelle, même si elle est mauvaise, je sais que ça ira. Mais j’avoue qu’en voyant sa bonne humeur contagieuse, je suis soulagée. Je mentirais si je disais le contraire. Du coup, je le regarde me rejoindre et le serre dans mes bras quand il me serre contre lui. C’est rare de le voir aussi heureux de me voir mais je ne me plains pas et rigole quand il me soulève, me serrant contre lui, avant de poser un baiser bruyant sur ma joue. J’aime le voir dans cet état, non pas seulement pour l’affection que je reçois, mais surtout parce que le voir aussi heureux, enjoué, ça me réchauffe le coeur. Jeremy est de ces personnes qui méritent le meilleur dans ce monde… Donc si t’existe, Dieu, fais de sa vie quelque chose de beau et merveilleux, qui le comblera jusqu’à ce qu’il ait poussé son dernier souffle.

Oui bon faut pas déconner. Si Dieu existait, la vie serait beaucoup plus juste. Faudra donc que je fasse en sorte que ma prière se réalise moi-même.

Je regarde ma table quand Jeremy m’invite à m’asseoir et m’exécute sagement, prête à tout recevoir de sa part maintenant. Il semble bien trop heureux pour avoir quelque chose de mauvais à m’annoncer. Et son enthousiasme, son bonheur, est un délice contagieux. Mon visage affiche un sourire, ce qu’il semble faire le plus souvent quand je suis avec lui. Étrange phénomène, non ? Il me demande alors si j’ai commandé mais avant même de pouvoir dire ou faire quoi que ce soit, il se lève et part au comptoir commander pour nous. Je rigole donc et fait signe dans le dos de Jeremy à la personne qui était venue me voir avant de laisser tomber ma commande qui n’était de toute façon pas prête. Elle hoche la tête, amusée par mon ami qui semble rendre tout le monde de bonne humeur. Quand il revient, il me demande de choisir ce que je veux sur son plateau et je prends un des smoothies et un des cupcakes. Je prends tout de suite une gorgée de mon smoothie avant de le déposer pour commencer à retirer le papier de mon cupcake. « Alors, tu comptes me garder en suspens longtemps ? Qu’est-ce qui te rends si heureux. Mis à part ma présence et les cupcakes. » Je ne montre rien, mais l’idée qu’il se soit trouvé une copine me traverse l’esprit rapidement. Et si c’était la raison pour laquelle il est heureux ? Non. Non je crois que je saurais s’il avait une vue sur quelqu’un. Du moins j’espère… Mais qu’est-ce qui te prends Emily à la fin ? Reviens sur terre !

Alors que j’arrive à me rassurer, je brise la base du cupcake en deux pour mettre l’autre partie sur le crémage du cupcake. Me voilà avec un sandwich maintenant. Et je le mange comme tel. Et c’est trop bon ! « Mmmh, j’oublie toujours combien les cupcakes ici sont bons ! C’est dangereux pour ma ligne. » Oui bon, ma ligne, j’y fais pas vraiment attention et je n’engraisse pas. Même après avoir arrêté de m’entraîner depuis mon agression, je n’ai pas engraissé. Au contraire même, j’ai maigri. Pas beaucoup, juste un peu. Je suis déjà aussi mince que du papier, faut pas déconner.

Jeremy me fait attendre, baigner dans cette incertitude et cette angoisse sans le savoir. J’ai peur de cette annonce, moi. Forcément, il tient à m’annoncer quelque chose de positif et qui le rend heureux, alors je ne peux m’empêcher de croire que c’est une histoire d’amour pour laquelle je devrai faire semblant d’être heureuse pour lui, en bonne amie. Oui… amie… Enfin ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué… Du coup, comme si tout allait bien, je lui demande de ne pas me garder en suspens plus longtemps et me dire ce qui le rend aussi heureux, à part ma présence. Oh, j’utilise l’humour pour cacher ma peur, mais ça se retourne contre moi quand il me dit qu’il est toujours heureux de me voir… sans me dire ce qu’il a à m’annoncer. Il me vole même un baiser sur ma joue et je hausse un sourcil en le regardant, mon sourire sur mes lèvres démontrant bien qu’il m’amuse, mais que j’attends tout de même ma réponse.

Du coup, je m’attaque au cupcake qui est désormais responsable de gérer mon angoisse. Il devient victime de mon besoin d’un défouloir. Je transforme mon cupcake en sandwich au crémage et prend ma première bouchée, m’extasiant sur ce délice en disant que je devrai faire attention à ma ligne. Et alors Jeremy me dit que ma ligne est parfaite. Je pose alors mes yeux sur lui. Je devrais avoir l’habitude de ses compliments. Il a toujours été gentil, mais jamais sans arrière-pensée. Du moins je crois. À chaque fois, ça fait toujours du bien à entendre, mais aujourd’hui, il y a quelque chose de différent. C’est peut-être juste moi qui se fait des idées, mais je suis certaine que son ton est différent…

Enfin, il prend son breuvage et je fais aussi comme si de rien n’était. « Merci. » Cependant, ça se voit dans mes yeux que je n’ai absolument pas abandonné et que je compte savoir ce qui me vaut cette invitation aujourd’hui. Il se remet donc à sourire, sachant bien ce que j’attends. Il me dit donc qu’il va enfin me dire, espérant que je sois aussi contente quand je saurai enfin. Et alors mon sourire semble moins heureux. « Tu me rends nerveuse là. » Je rigole, mais la réalité c’est que je commence réellement à penser qu’il va m’annoncer qu’il a une petite amie. Et alors qu’il reprend la parole, me disant qu’il s’est passé quelque chose aujourd’hui, je suis certaine qu’il est sur le point de m’annoncer que sa nouvelle petite amie l’a embrassé pour la première fois, ou un truc du genre. Le genre de romance qu’on voit à la télé… ou dans la vie des autres pour ma part. À ce point, pour moi, il n’y a plus aucune question qui se pose, je suis certaine d’avoir deviné, au point de me dire que c’était sans doute la prochaine tuile que j’attendais, celle qui me tomberait sur la tête après tant de temps sans grand drame dans ma vie…

Mais alors c’est quelque chose de complètement différent qui se passe, qu’il m’annonce, et je soupire de soulagement, affichant un nouveau sourire, amusée par ma propre connerie. « Oh… J’ai cru que… » Mais alors je réalise vraiment. Il a dit Égypte, non ? Il a dit qu’on y allait tous les deux, non ? « Attends quoi ?! T’es… T’es sérieux ? Comment ça ? Je comprends pas ! Que… Comment… J’ai… J’ai pas l’argent pour y aller ! C’est quand ? » Il y a autant de confusion sur mon visage que d’espoir et d’excitation. J’ai du mal à rester tranquille maintenant, et ça se voit. J’arrive à peine à me retenir de me lever debout. Vaut mieux attendre vraiment qu’il confirme, que je sache que c’est réel et non juste une fantaisie, un beau rêve. Parce que réellement, j’ai pas les moyens pour me payer un voyage. Quoi que je pourrais sans doute m’arranger…

Moi qui croyais qu’il allait m’annoncer qu’il avait une petite amie… Ouais, okay, j’aurais pas le choix d’être heureuse pour lui, mais ça m’empêche pas de pas avoir envie de le partager. Je n’ai pas le droit de dire qu’il est à moi, mais… J’en sais rien, plus ça va, plus je pense à lui tout le temps et… Quoi ? On est amis, c’est tout ! Vraiment ? Enfin, oui, vraiment, mais… Parfois je me surprends à vouloir plus. C’est le seul dans ma vie qui ne m’aie jamais abandonnée. Forcément, ça marque quelqu’un. C’est bien pour ça que j’ai eu peur qu’il ait une nouvelle petite amie.

Enfin, je réalise ce qu’il dit… On s’en va en Égypte… Je ne comprends pas comment c’est simplement possible. Oui, on s’était dit qu’on irait ensemble, juste pour être ensemble, mais je ne m’attendais pas vraiment à ce que ça arrive réellement. Enfin, pas aussi soudainement et aussi tôt. Je m’attendais à devoir attendre à ma retraite, si j’en ai une un jour. Enfin, je regarde Jeremy, confuse et lui demande et lui pose des questions pas très claires. Même dans ma tête, les questions se sont dissipées. Il me confirme que nous allons au Caire et ses alentours, alors je sais que je ne rêve réellement pas, ou que ce n’est pas une blague.

Mais alors Jeremy me bombarde d’une autre information. Je vais apparemment aller à Paris, Londres, Madrid, Rome, Alger et Athènes… En gros, je vais faire le tour de l’Europe, en faisant une escale au Caire… ou aller au Caire en faisant une escale en Europe… Je fige complètement, comme si mon cerveau n’arrivait toujours pas à enregistrer l’information. Pourtant, l’excitation se lit doucement sur mon visage alors que je réalise pour la énième fois ce qui se passe. « Si je le souhaite ?! » Je me lève de ma chaise rapidement, incapable de me contenir plus longtemps. « T’es sérieux là ?! » Je m’approche de lui et le serre dans mes bras, un sourire plus grand que je n'en ai vu dans les dernières années dans le miroir. Un rire s’échappe de ma bouche, simplement à cause du bonheur intense qui m’habite. Du moins, jusqu’à ce que je m’éloigne, la raison me rattrapant toujours trop rapidement, comme d’habitude. « Mais attends ! Comment ? Je n’ai pas les moyens pour aller en Égypte, encore moins pour faire le tour de l’Europe ! Qu’est-ce qui se passe ? » Je regarde autour pour blaguer. « Elles sont où les caméras ? » Je le regarde à nouveau. « C’est quoi l’attrape ? C’est trop beau. »