À cranJanvier 2020 Grand-mère était officiellement diagnostiquée d'un cancer de la moelle osseuse depuis trois mois. Tout avait commencé par de terribles maux de dos qu'elle avait ignorés pendant trop longtemps, mettant cela sur le compte de la vieillesse. Une prise de sang avait suffit pour constater que rien n'allait chez elle, en vérité. Puis, les traitements. Une greffe de moelle osseuse d'abord. Puis de la chimiothérapie intraveineuse, dont les traitements s'accumulaient à chaque semaine. Jeremiah en avait lourd sur ses épaules. C'était maintenant à lui de s'occuper de la femme qui l'avait élevé à la mort de ses parents. Seulement, les frais hospitaliers exubérants étaient en train de le mettre à sec. L'argent manquait. Et ce serait encore plus le cas dans les prochains mois. L'année 2020 débutait plus que mal. Des sacrifices devraient être faits.
Jeremiah envisageait d'abord de vendre la maison où ils habitaient. Ça briserait sûrement le cœur de sa grand-mère de quitter l'endroit où elle avait vécu avec son mari, mais l'endroit était beaucoup trop grand pour eux et ils pourraient économiser sur l'argent de la vente en prenant plutôt un petit appartement. Jay devait aussi couper sur bien des choses. Moins de sorties. Surtout, plus d'abonnement au gym. C'était beaucoup trop cher, alors qu'il pouvait tout simplement aller courir dans les parcs pour garder la forme.
C'était ce qu'il se disait en marchant, en revenant du travail, lorsqu'il croisa la devanture du 2nd Chance Refuge. L'endroit accueillait les gens en difficulté en mettant à leur disposition des salles de sport et des cours de tous genres. Jay ralentit le pas, pensif. Était-ce une option? Il pourrait continuer ses habitudes sportives, tout en économisant. Le sport était bien une des seules choses qu'il lui restait pour évacuer le stress de leur situation financière. Au fond de lui, Jeremiah n'hésita que quelques secondes. Dès le lendemain, à la fin de sa journée à la bibliothèque, il passait déjà les portes du grand centre, finalisant son inscription au comptoir et se rendant dans la première salle de gym qu'il croisa. Il n'avait pas totalement l'impression d'être à sa place et ne savait trop vers où se tourner, mais il croisa alors son regard dans un des miroirs qui longeaient les murs, un regard hagard, effrayé, cerné, épuisé. Il descendait lentement vers le fond. Jeremiah ressentit un élan de colère et tristesse envers lui-même, envers sa situation. Il voudrait tant offrir de bons soins à sa grand-mère, pour qu'elle puisse se reposer plutôt qu'angoisser. Il ne fallait pas se mentir... ce cancer était incurable. Grand-mère mourrait un jour et il ne pourrait pas lui offrir la paix dans laquelle elle méritait de partir. Incapable de se concentrer sur son entraînement, Jay se perdait dans ses pensées, si bien qu'il ne remarqua pas qu'il barrait le chemin à un autre homme près de lui.
À cranJeremiah & WarrenJanvier 2020 - 2nd Chance Refuge
Cela faisait maintenant une semaine ou peut-être deux que j’étais arrivé au Refuge. Le refuge de la seconde chance, il portait tellement bien son nom. Le gérant était un sauveur à mes yeux. Il m’avait accordé une chance de faire mes preuves et je savais que pour cela je devais mettre de l’eau dans mon vin. La taule m’avait grandement renfermé. Même avant j’étais pas un grand bavard ni un grand sentimental. Mais après ce passage derrière les barreaux j’avais l’impression d’être devenu aigri et solitaire. Je crois sans dire de conneries que je suis désormais un homme brisé. Quelque chose s’est brisé quand j’ai appris la mort de cet homme que j’avais tabassé. Ok c’était un enfoiré mais qui je suis pour décider de la vie ou de la mort de quelqu’un. La culpabilité était tellement présente que j’en faisais encore des cauchemars régulièrement.
Avoir un travail, ce que je n’avais pas eu depuis des années, me permettais d’avoir l’esprit occupé et de ne pas trop réfléchir à mon passé. Après tout j’étais là pour ça. Pour repartir de zéro et aller de l’avant. Pour l’heure, je ne donnais que très peu de cours. Les jeunes ne me connaissaient pas encore et en soit je faisais souvent la tronche donc c’était normal que je n’attire pas les plus jeunes. J’espérais qu’avec le temps et l’expérience, je serais plus à l’aise. Mon dernier cours de l’après-midi était terminé depuis dix minutes et j’avais encore une bonne heure et demi à tuer avant la fin de ma journée. Du coup, j’avais décidé de faire un brin de rangement. C’était donc un casier dans les mains que je faisais des allers retours avec les gants, les haltères, les bandages et autres accessoires de la salle, afin de les ranger. J’étais en train de regarder le contenu de ma caisse que je tenais d’une main lorsque mon épaule heurta celle d’un autre gars.
Je relevais la tête, le regard mauvais vers cet homme qui n’avait rien demandé. Je grognais un coup avant de me retourner pour aller poser mon casier à sa place. Finalement le gérant m’attrapa par l’épaule et me demanda d’aller voir cet homme qui venait pour la première fois. Je grognais un peu mais il m’assura que rien de tel qu’un nouveau pour avoir des nouveaux cours. Et qui disait nouveaux cours et nouveaux élèves disait plus d’heures et donc un meilleur salaire. Soit.
Je me dirigeais donc vers cet homme qui semblait perdu, mais pas que. Il avait ce regard triste des mauvais jours mais comme si tous les jours étaient mauvais. C’était pas si facile à expliquer mais je crois que dans le fond je comprenais un peu ce regard.
“Salut, t'es nouveau? Tu veux faire une p’tit visite?”
J’avais pas mieux en stock comme accueil. J’étais pas le plus jovial qui soit et j’avais pas encore appris à avoir ce masque pour avoir le sourire de façade même quand ça n’allait pas. Et puis, il fallait dire aussi que j’étais pas forcément à l’aise avec les gens de manière générale. ️ 2981 12289 0
À cranL'épaule de Jeremiah frappa celle de l'autre homme et aussitôt, Jay sortit de sa bulle et revint à la réalité. Alors qu'il s’apprêtait à s'excuser, il crut entendre l'autre homme gronder contre lui, alors qu'il repartait déjà vers sa besogne. Un léger frisson parcourut ses bras. Ce n'était visiblement pas l'endroit pour provoquer les autres. Du coin de l’œil, Jeremiah observa l'autre homme, qui faisait du rangement dans la pièce où il se trouvait. Fermé. La mâchoire serré. L’œil éteint. Cet homme n'allait franchement pas mieux que lui. Comme tout le monde ici, Jay. Il se remit donc au travail, mais il déambulait devant les machines de musculation, incertain par où il devait commencer. Salut, t'es nouveau? Tu veux faire une p’tit visite? Jay se retourna et son regard devint aussitôt sceptique. Le molosse était de retour, avec une politesse probablement feinte, typique du service à la clientèle, qui ne démontrait pas énormément de jovialité. Un peu piqué, Jeremiah haussa d'abord les épaules. Il avait l'air si perdu que ça? Probablement, tu tournes en rond depuis 10 minutes. Jeremiah soupira finalement et répondit:
—Oui, ce serait apprécié. J'ai besoin de me défouler et je ne sais pas par où commencer.
Il observa l'autre homme, toujours en tentant de comprendre d'où venait cet air dur envers lui. Il est peut-être comme ça avec tout le monde. Ou bien, c'est peut-être une mauvaise journée. Tout de même, il ne voulait pas se faire des ennemis ici. Tu n'es pas plus là pour te faire des amis. Il était bien incapable d'entretenir une relation quelconque depuis les derniers mois. Seul sa routine comptait et les soins pour sa grand-mère. Simplement poli, il continua donc:
À cranJeremiah & WarrenIl était méfiant de moi. En même temps c’était logique, j’avais pas vraiment la tête du bienheureux, joyeux et accueillant. J’étais plutôt le genre de mec que personne ne venait faire chier mais avec ce boulot, j’aurais pas trop le choix de devenir sociable. C’était tout de même pas gagné. Après un bref instant d’hésitation, il soupira et accepta ma proposition de visite. En soit, j’étais un peu soulagé car si je m’étais fait rembarré, mon patron n’aurait peut-être pas apprécié. Il avait besoin de se défouler. A ces mots j’arquais un très léger sourire qui disparut quasiment aussitôt.
“T’es au bon endroit alors.”
Plus je le regardais, plus j’me demandais ce qu’il foutait là. Il avait l’air triste que je connais tant mais il semblait surtout perdu. Peu habitué à ce genre de refuge où il y avait plus de délinquants repentis que des sportifs de haut niveau. Je regardais rapidement autour de nous… Il n’avait pas tord, par où commencer. Je songeai alors à lui faire la visite que le boss avait fait avec moi à mon arrivée quand il s’excusa pour la bousculade. J’haussai doucement les épaules en disant avec fairplay :
“T’inquiète, j’avais pas fait gaffe non plus devant moi.”
Il semblait relativement poli alors je lui tendis ma main, histoire de faire un minimum les présentations.
“Au fait, j’m’appelle Warren. J’suis prof de boxe ici si tu as besoin depuis… depuis quelques jours seulement à vrai dire…”
Je sais pas franchement pourquoi j’avais dit ça, surtout à un gars que je ne connais pas. Mais il avait une bonne tête. Il semblait sympa alors bon autant lui laisser une petite chance de s’intégrer. Moi l’antisocial de service j’avais à peu près réussit alors pourquoi pas lui. Finalement je tapais dans mes mains pour débuter cette fameuse visite.
“Bon commençons par le début. Ici c’est un refuge de la seconde chance, comme le nom l’indique. Il y a notamment des jeunes qui cherchent le moyen de s’en sortir mais aussi des moins jeunes qui ont fait des conneries et qui ne veulent plus de cette vie-là.”
À cranLa tension entre les deux hommes finit par se dissiper. L'homme ne lui tenait visiblement pas rigueur pour la bousculade et acceptait de lui donner un coup de main. Il était au bon endroit pour se défouler. Parfait. Depuis les dernières semaines, Jay n'avait jamais eu l'impression d'être un bon endroit. Un fantôme errant, voilà ce qu'il était. C'était la pagaille dans sa tête et il ne savait pas comment y mettre de l'ordre. L'autre homme se présenta en lui tendant la main. Warren. Un professeur de boxe, depuis quelques jours. Alors, ça faisait du sens. Peut-être était-il froid parce qu'il n'était toujours pas à l'aise dans son nouvel emploi? Jeremiah hocha la tête, sourit légèrement mais sans plus - il n'était même pas capable de feindre de la bonne humeur, mais savait être poli - et attrapa la main de l'autre.
—Moi, c'est Jeremiah. Tu peux m'appeler Jay.
Jeremiah, bibliothécaire, musicien à ses heures, homme angoissé avec une personne âgée à sa charge, avec la mort imminente comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Mais ça, Warren n'avait pas besoin de le savoir. Ce dernier tapa dans ses mains, prêt à commencer, et Jay suivit ses pas, un peu sceptique à nouveau. Mais qu'est-ce que tu fais ici, au juste? Tu n'as jamais aimé la musculation. C'était mieux que de se morfondre. Le professeur de boxe lui expliqua l'endroit où il se trouvait: Ici c’est un refuge de la seconde chance, comme le nom l’indique. Il y a notamment des jeunes qui cherchent le moyen de s’en sortir mais aussi des moins jeunes qui ont fait des conneries et qui ne veulent plus de cette vie-là. Les yeux dans le vague, Jay hocha la tête et murmura bien malgré lui:
—Oui... j'appartiens à une de ses catégories.
Un moyen de s'en sortir. Quelque chose à quoi s'accrocher. Il fouilla dans les yeux de l'instructeur et sentit qu'il comprenait lui aussi. Après tout, peut-être était-il là pour les mêmes raisons. Il écouta la suite des explications de Warren, puis demanda:
—Que peux-tu proposer à quelqu'un qui ne s'est jamais vraiment entraîné de sa vie?
Jeremiah avait fait du sport à l'école, puis avait aussi apprécié la course par le passé, mais il était plutôt sédentaire depuis les dernières années. :copyright:️ 2981 12289 0
À cranJeremiah & WarrenJeremiah enfin Jay avait tapé à la bonne porte en entrant ici. Il avait le même regard de chien errant que j’avais à mon premier jour. Enfin pour ma part, cela faisait à peine sept jours et j’avais toujours l’impression d’être le même. Mais bon, j’me disais que ça ne pourrait aller qu’en s’arrangeant. J’avais un job c’était déjà énorme pour moi. Je lui fais alors un rapide tout du propriétaire, lui expliquant en premier le principe du refuge. Visiblement il semblait faire partie des mecs qui avaient besoin d’un coup de pouce pour aller mieux. Si l’on semblait si différents lui et moi au premier coup d’œil, j’avais l’impression en lui parlant qu’il était tout autant mal que moi. Surement pas à cause des mêmes raisons mais j’sais pas, ça m’a donné envie de l’aider. Je continuais mon discours en lui montrant les différentes salles. D’abord la salle principale avec les équipements de musculations, les tapis d’exercice d’autodéfense et le ring central.
“Ici, tu pourras t’entrainer seul ou avec d’autres membres. Les gars sont cools. Un peu rustre mais cool et finalement c’est plus des gros nounours et des jeunes en mal d’affection qu’autre chose.”
Puis les salles d’entrainements individuels pour les cours et les personnes qui veulent s’isoler.
“Le refuge propose des cours de boxe en tout genre en individuel ou en duo. Il y a aussi des cours d’autodéfense, majoritairement pour les filles…. Mais bon si tu sens que tu en as besoin, y’a pas de soucis, tu me le dis. Et puis si jamais tu veux t’entrainer au calme tout seul, tu peux réserver une des salles en signant le registre à l’accueil.”
Enfin les salles avec simplement des chaises pour les groupes de paroles pour ceux qui en ont besoin.
“Certains ont plus besoin de causer que de cogner alors il y a des groupes… Perso j’y suis pas aller… De base j’suis pas un grand bavard alors bon mais si tu veux t’y vas et c’est tout… Pas de compte à rendre à personne.”
Finalement je me tournais vers lui et simplement je lui fis un p’tit sourire. C’était une des premières fois que je faisais l’accueil de quelqu’un et j’avais l’impression de m’en sortir pas trop mal.
“Bon alors y’a quelque chose qui te tente plus qu’autre chose ?”
A ma question, j’avais l’impression qu’il n’avait pas plus de réponses que ça et finalement il me demanda ce que je pourrais lui proposer sachant qu’il ne s’était jamais vraiment entrainé. J’aurais pas su dire comment ou pourquoi mais il avait besoin de lâcher prise. Alors mon instinct de grand frère qui était enfoui depuis bien longtemps repris le dessus. Je me penchais vers lui, lui posa une main sur son épaule pour le soutenir et le regarda droit dans les yeux :
“J’ai bien l’impression que tu as des trucs à évacuer… On va commencer par ça si tu veux.”
Le gérant du refuge m’avais dit que les nouveaux devaient idéalement être intégrés dans les salles privées au début. Surtout pour qu’ils puissent extérioriser le pourquoi de leur arrivé ici au calme et pas devant le regard de tous les autres membres. En soit j’étais d’accord. Le plus souvent c’était un moment particulier et fort en émotions alors autant n’être que tous les deux. Je l’emmenai donc dans une des salles disponibles. Je l’invitai à se mettre à l’aise. Pour ma part j’étais déjà en tenue de sport alors pas forcément besoin de me changer. Et puis je l’invitai à me faire face. “Bon on va commencer au calme comme ça y’a que nous deux et tous ce que tu feras ou diras ça resteras entre nous ok ? T’en fais pas j’suis pas le genre à déblatérer.”
Je lui proposai une paire de gants de boxe et pour ma part, je m’équipais avec des pads de Boxe rond. “Le principe est simple, une raison d’avoir franchi cette porte est égal à deux coups, droite et gauche, un truc qui va pas, deux coups, tout ce qui te passe par la tête, deux coups. Ton poing gauche dans mon pad gauche et le droit dans le pad droit. Ok ? Allez vas-y.”
Je me mis sur mes appuis, prêt à encaisser les coups. Je savais que c’était le genre de truc qui allait crescendo. Au début c’est faiblard et petit à petit tout ce qui est refoulé refait surface et après on se sent mieux. ️ 2981 12289 0
À cranWarren lui fit d'abord visiter l'endroit. Il le rassura sur les autres utilisateurs du gym. Des gens biens, malgré les apparences. Jay regretta de peut-être en avoir juger quelques-uns à son arrivée. Il était dans le même bateau qu'eux, après tout. Le professeur lui expliqua aussi que certains cours étaient offerts au refuge et qu'il y avait, de plus, des salles individuelles s'il voulait s'entraîner seul. Jay accumula l'information en hochant la tête. Il avait à la fois envie de se cacher pour s'entraîner, mais en quoi cela l'aiderait? Il se cachait beaucoup trop, justement. Peut-être que le refuge serait un moyen de sortir de sa carapace? Ah, elle est bonne celle-là. Warren poursuivit en lui expliquant que le refuge offrait des groupes de soutien. Parler au lieu de cogner. Était-ce ce dont il avait besoin? Jay était à nouveau un peu perdu, mais Warren sembla le remarquer. L'homme froid, à cran et dur qu'il avait d'abord rencontré semblait disparaître peu à peu, remplacé par un homme tout aussi déchiré que lui mais présent, prêt à aider. Une main sur son épaule, Warren lui dit : J’ai bien l’impression que tu as des trucs à évacuer… On va commencer par ça si tu veux. Il l'invita à une salle individuelle et Jay se prépara à commencer. Il enfila les gants que l'homme lui tendait. De la boxe? Ça serait bien la première fois. Mais visiblement, Warren ne voulait pas que le mettre en forme. Parler. Dire les raisons pour lesquels il était ici. Deux coups, une confidence. Deux coups, tout ce qu'il lui passait par la tête. Jay mis quelques secondes avant de se décider à se mettre en action. Il frappa d'abord les deux pads de boxe de façon si maladroite qu'il en rougit. Hésitant, il s'expliqua:
—Je suis désolé, je ne sais pas ce que je fais.
Se concentrant, respirant un bon coup, il frappa plus fort cette fois. Pourquoi es-tu là? —Je suis paumé.
Deux coups.
—Que des dettes, tout le temps.
Deux coups.
—Ma grand-mère est malade.
Deux coups. Il augmenta la vitesse.
—Cancer.
Deux coups.
—Je n'arrive pas à payer ses traitements.
Deux coups, puis deux autres. Ses mouvements étaient lourds, maladroits, mais Jay commençait à frapper avec plus de force, un peu plus confiant.
—Je suis seul.
Deux coups.
—Pas capable de dormir.
Deux coups.
—Pas capable...
Un peu essouflé, Jay s'arrêta. Son ton monta bien malgré lui.
—Pas capable d'être un être humain normal! Je suis épuisé. J'ai coupé les ponts avec tous mes proches. Incapable de me concentrer, incapable d'apprécier leur présence. Je me sens déconnecté, inintéressant. Je fais semblant d'aller bien pour qu'on me fiche la paix, mais je suis constamment angoissé et déprimé.
Il recommença à frapper.
—Et coupable.
Deux coups, puis deux autres. Warren semblait tenir comme un roc, alors que Jay lui balançait ses poings de toutes ses forces. —Je suis un échec.
Deux coups.
—Ma grand-mère m'a élevé et...
Deux coups.
—Je n'arrive même pas à tenir le coup pour lui rendre la pareille.
Deux coups, puis deux autres, puis deux autres, jusqu'à ce que Jay s'arrête pour quelques secondes. La sueur commençait à perler sur son front. Mais pourquoi tu racontes tout ça? :copyright:️ 2981 12289 0
À cranJeremiah & WarrenSes premiers coups étaient faiblards, mais c’était normal. Outre le fait que cela se voyait qu’il n’était pas un habitué des salles, il avait un petit air timide et je le comprenais parfaitement. Ce que je lui demandais n’était pas facile. Il devait se livrer à un parfait inconnu sur les raisons de sa venue ici. Et s’il était là concrètement c’était que cela n’allait pas bien fort. Lorsque Jay s'excusa rapidement, je le repris.
« Respires, je suis pas là pour te juger mais pour t'aider. »
Il se concentra, respira un bon coup et commença. Visiblement le jeune homme en avait gros sur la patate. Les raisons fusaient et si je l’écoutais attentivement, je sentais surtout les coups qui s'intensifient doucement mais surement. Heureusement j’étais bien ancré sur mes jambes et j’avais un bon gainage des bras. Je pouvais encaisser sans soucis.
Il était perdu, il avait des soucis d'argent, de la famille malade, il était seul à gérer tout ça. Il s'était coupé du monde pour gérer au mieux mais c'était pire. Je l'écoutait et une partie de moi le comprenait même si je n'avais clairement pas les mêmes problèmes que lui. Il se sentait seul, déprimé. Il n'avait pas confiance en lui. Il se sentait coupable.
J'encaissais les coups de plus en plus fort. Je ne bronchais pas, pas un mouvement de recul, pas un froncement de sourcil. J'étais aussi raide qu'un pic. Il pouvait cogner je résisterai sans broncher. Je voulais qu'il lâche prise. Qu'il vide son sac. C'était important. Et au passage cela me permettait de le connaître et de mieux l'appréhender pour la suite. Concrètement, il n'avais pas forcément besoin de cours pour se défendre ou pour apprendre mais surtout pour se défouler et canaliser la colère qu'il avait en lui.
« Vas-y c'est bien Jay. Plus fort si tu veux. Vides tout ce dont tu as besoin. J'suis là pour ça. »
Sa grand-mère l'avait élever et il n'arrivait pas à tenir le choc de la voir ainsi. Il y avait peut-être aussi la peur de la perdre. Mais là ce n'était que pure spéculation.
Je m'attendais à ce qu'il s'énerve un bon coup avant de sombrer. Souvent quand toute la colère est évacuée, il ne reste que la tristesse. Je m'y attendais et je voulais qu'il se laisses aller avec moi. J'étais là pour lui et pour personne d'autre en cet instant. ️ 2981 12289 0
À cranWarren n'était pas là pour le juger, mais pour l'aider. C'est peut-être cette promesse qui avait poussé Jay à frapper encore et encore, sans grand talent, tout en laissant échapper à chaque fois quelques bribes de sa vie. L'entraîneur l'encourageait à frapper et à se vider le cœur. Il était là pour ça. Jeremiah écouta ses conseils sans réfléchir, recommençant à se défouler sur les pads aux mains de Warren, ne balançant pas que son poing mais tout son poids. De plus en plus, ses coups étaient précis, mais il était toujours dans la lourdeur, et non la vitesse.
Deux coups.
—Je ne sais plus comment m'en sortir.
Deux coups.
—Il ne me reste que ma grand-mère.
Deux coups, puis un léger déséquilibre. Jay s'ancra de nouveau au sol, plus solide.
—Je vais la perdre elle aussi.
C'était ça, la réalité. Sa vie lui glissait entre les mains et les dettes s'accumulaient, mais il savait bien qu'il ne se dirigeait pas vers un monde plus simple. C'était le deuil qui viendrait après. Son cancer était incurable. Jay sentit la colère monter en lui. Il ne méritait pas ça. Elle ne méritait pas ça! Elle avait décidé de prendre soin de lui à la mort de ses parents, sans aucune hésitation. Elle lui avait tout donné. Elle méritait une retraite paisible, joyeuse. Pas la maladie.
—Pas la maladie!
Ses pensées sortaient par ses lèvres sans qu'il s'en rende compte. Deux coups.
—Merde!
Il lança un grognement, caché par le bruit de ses poings frappant les pads à toute vitesse.
—C'est injuste.
Deux coups.
—J'en ai marre.
Deux coups.
—MARRE!
Il hurla assez fort pour attirer l'attention des autres personnes dans la salle. Son cri devait avoir résonné à l'extérieur de la porte close. Puis, le silence. L'évidence venait de le frapper. Il en avait marre. Était épuisé. Au bout du rouleau. La fin. Les poings pendants contre son corps, le regard de Jay se perdit dans le vide. Il recula de quelques pas, mollement. Il voulait abandonner. D'une voix faible, il murmura:
À cranJeremiah & WarrenJ’encaisse les coups et je lâche quelques paroles à Jay afin qu’il lâche prise et qu’il puisse évacuer la colère qu’il a en lui, mais également la frustration d’après ce que j’avais pu comprendre. Les coups dans les pads devenaient de plus en plus forts mais j’avais pris de bons appuis et de ce fait je n’avais pas forcément l’impression de forcer. Et puis même s’il tapait de toutes ses forces, il en fallait encore plus pour me faire tomber… alors je le laissais poursuivre.
J’eus progressivement la confirmation qu’il allait perdre sa grand-mère, sa seule famille, et qu’il allait se retrouver seul. Je comprenais tout à fait que cela pouvait être déprimant pour n’importe qui de perdre un proche et surtout de ne rien pouvoir faire pour empêcher cela. C’était frustrant.
Il frappait, il grognait, il injuriait mais il cognait toujours… Jusqu’à ce que … la réalité de ce qu’il pensait le frappe. Il en avait marre. Marre de toute cette situation. Marre de tout ce qui pouvait lui tomber dessus. Marre de ne pas se sentir à la hauteur peut-être. Il hurla un bon coup avant que l’épuisement et ses forces l’abandonnent. Je regardais rapidement autour de nous pour voir les personnes se redressaient en entendant son cri. Je fis rapidement un geste que c’était normal et que je gérais parfaitement la situation avant de m’approcher de lui.
Retirant rapidement un pad, je libérais une de mes mains pour la poser sur son épaule, en baissant la tête pour croiser son regard :
« Bien c’est ben Jay. Viens on va faire une petite pause. »
Je lui fis signe qu’il pouvait retirer ses gants avant de lui montrer un banc un peu éloigner du reste de la salle. Ici nous pourrions discuter tranquillement sans que des oreilles indiscrètes puissent écouter. Je lui fis signe de s’asseoir avant de prendre deux bouteilles d’eau, de lui en tendre une et de m’asseoir à mon tour à côté de lui :
« Bon… Malheureusement pour ta grand-mère, j’pourrais pas faire grand-chose mais ici tu pourras extérioriser toute cette colère et cette frustration que tu as accumulée et j’espère que cela t’aidera au mieux. La plupart des séances sont gratuites donc pas de soucis pour la tune. Et puis ici, je serais là pour toi si tu as besoin de parler… Tu seras pas seul Jay. »
Je m’appuyais en avant posant mes coudes sur mes genoux avant de poursuivre :
« Tu sais ici, c’est pas seulement une salle de sport, c’est un refuge pour beaucoup de personnes, y compris moi… Alors si cela peut être un refuge pour toi, on s’ras ravis de t’accueillir, même tous les jours s’il le faut. »
Nous avons ainsi discuter durant plusieurs heures, parlant de tout et de rien, faisans connaissance. J'avais l'impression que je pouvais avoir confiance en lui et lui pouvait avoir confiance en moi. Peut-être le début d'une belle amitié qui sait?
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